Je t’aime moi non plus (film)

 

Serge Gainsbourg, 1976

SERGE GAINSBOURG, ‘JE T’AIME MOI NON PLUS’, JANE BIRKIN & JOE DALLESANDRO

JE T’AIME MOI NON PLUS

 

Alain-Guy Aknin, Philippe Crocq, Serge Vincendet

Ce texte est tiré du livre d’Alain-Guy Aknin, Philippe Crocq & Serge Vincendet, Le Cinéma de Gainsbourg, affirmatif! (Paris: Éditions du Rocher, 2007) pages 111-123.

Publié avec l’aimable autorisation de Serge Vincendet

Serge Vincendet est expert en phonogramme et directeur du magasin de disques de collection Monster Melodies. Il est auteur de plusieurs ouvrages dont Serge Gainsbourg, l’intégrale et caetera (Bartillat 2005) un livre de référence qui restitue la dimension littéraire du travail de l’auteur-compositeur-interprète, avec toutes les références discographiques; et Le cinéma de Serge Gainsbourg… affirmatif ! une biographie qui s’attache à un aspect important, mais totalement inexploré de l’oeuvre Gainsbourienne: sa création dans le domaine cinématographique.

 

LA SÉQUENCE DES IMAGES CI-DESSOUS CONSTITUE UN RÉSUMÉ FIDÈLE DU NARRATIF DU FILM.

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Joe Dallesandro

Rock Around the Bunker ayant défrayé la chronique, mais pas bouleversé les hit-parades, Gainsbourg s’apprête à plonger tête la première dans l’autre art qui l’obsède depuis tant d’années: le cinéma. Son scénario est maintenant terminé, il rêve de lui donner vie et retourne voir Jacques-Éric Strauss, qui, fidèle à sa parole, accepte de le produire, à condition que le titre soit celui de son plus grand succès discographique, Je t’aime moi non plus. Pour le reste, il lui laisse carte blanche.

Ayant choisi Willy Kurant, rencontré sur le tournage de Cannabis, comme directeur de la photo, il engage à la caméra Ian Lemasson, tandis que Henri Chenut construira les rails permettant de réaliser de superbes travellings, entre autres celui du camion tournant autour de la décharge. Et pour que le film soit en règle avec le CNC, Claude Berri accepte d’en être le conseiller technique.

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Jane Birkin

Inspiré par sa muse Jane, à laquelle il veut donner le premier rôle, Serge Gainsbourg concocte un scénario aux antipodes de ce qu’attend son producteur. Fidèle à sa démarche d’innovateur perfide et refusant les niaiseries scénaristiques subies en tant qu’acteur, il veut frapper un grand coup entre le film d’art et d’essai, le drame conceptuel, l’underground new-yorkais à la Paul Morrissey – âme damnée d’Andy Warhol – en y mêlant ses obsessions existentielles.

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Jane Birkin

Un malentendu de certains auditeurs anglais, ayant compris que les mots ‘entre tes reins’ de la chanson suggérait une sodomie plutôt qu’une relation sexuelle classique, Gainsbourg, toujours prêt à choquer, s’attache à cette idée, renforçant l’aspect androgyne de Jane. Coiffure à la garçonne, cheveux coupés très court, elle porte le prénom équivoque de Johnny, à cause de ‘ses petits seins et son gros cul’ dit le scénario, et campe un personnage à l’allure féminine ambiguë qui deviendra la maîtresse (l’amant ?) d’un homosexuel interprété par Joe Dallesandro.

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Joe Dallesandro

Dans la mesure où il est incapable de l’aimer physiquement comme une femme, ils ont des relations sodomites, ponctuées de sonores ébats, apparemment très douloureux, qui les font chasser de tous les hôtels. Sans doute y a-t-il là une réminiscence, parmi les nombreuses lectures poétiques de Gainsbourg, du poème ‘À un égaré’, dans Les Chansons de Bilitis, de Pierre Louÿs: ‘Tu perds tes nuits à chérir les éphèbes. Mais une femme te peut guérir. Sa croupe est une rose au soleil, et elle ne te refusera pas le plaisir qu’elle-même préfère.’ L’amant finira par l’abandonner pour retrouver son ancien compagnon, éboueur comme lui. D’abord pressenti, Dirk Bogarde avait prudemment décliné l’invitation, et c’est Anne-Marie Rassam, épouse de Claude Berri et coproductrice du film, qui avait attiré l’attention de Serge Gainsbourg sur l’acteur warholien.

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Jane Birkin, Joe Dallesandro, Hugues Quester

L’influence du cinéma américain de série noire est parfois manifeste. L’action se situe dans un lieu indéfini, avec un bar improbable perdu dans une immense campagne désolée – en fait un terrain d’aviation aménagé pour le film –, sans aucun espoir d’en sortir. Tout pousse à la mélancolie; le bonheur n’existe pas, nous sommes à la frontière de la détresse. Les personnages se démènent en vain, acceptant en partie leur destin, car leur mince lueur de rêve ne deviendra jamais réalité. Quant à l’infecte scène du concours de strip-tease, elle est directement calquée sur la compétition de danse d’On achève bien les chevaux, de Sydney Pollack, mais la noirceur gainsbourienne y est plus frappante encore. Les strip-teaseuses sont pathétiques face au manque d’intérêt du public et à sa grossièreté, considérées comme du bétail dans une foire agricole: laideur de l’ordinaire dans le sordide d’une situation décalée et désespérante.

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Joe Dallesandro

Les noms sont significatifs: Krassky dit Krass (crasse) pour Joe Dallessandro l’éboueur, Padovan (‘pas devant’, donc par-derrière) pour son compagnon homosexuel, joué par Hugues Quester, acteur qui avait fait le siège de la rue de Verneuil et séduit Gainsbourg par sa détermination et son physique d’Italien efféminé bien en rapport avec le rôle. L’allégorie du chauffeur dont la monture est un camion poids lourd, remplaçant le chevalier blanc, avait déjà été exploitée dans la chanson ‘Help camionneur’ sur l’album Di Doo Dah de Jane Birkin: ‘Help! Help! Je suis à toi mon beau routier / Prends-moi prends-moi sur ton camion citerne / La vie est si terne.’ Le camionneur est ici d’une virilité machiste à penchant homosexuel, comme certains archétypes du mâle américain caricaturés dans le groupe disco Village People, créé de toutes pièces par les producteurs français Jacques Morali et Henri Belolo. L’amour viendra donc de ce ‘prince’, cet éboueur vivant dans une décharge publique emplie d’ordures, symbole encore pour décrire le monde qui nous entoure: ‘Moi, je trouve ça beau, cette montagne de merde. C’est la nausée des villes, la vomissure des hommes, la source du Styx.’

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Jane Birkin

Johnny ne peut accepter la condition sociale de son amant, tandis que lui ne peut assumer un rapport sexuel normal avec une femme, contact de la féminité qu’il ne supporte ni ne comprend. Le monde féminin lui est étranger, métaphore toujours: un homme peut aimer une femme, mais ils seront toujours des inconnus l’un pour l’autre, tant leurs mondes sont contradictoires. Leur seul point commun, c’est l’amour, partagé mais impossible à vivre, grand thème des chansons de Gainsbourg. Dans une scène du film, l’homosexuel Padovan se fait massacrer parce qu’il n’est «pas comme les autres», or Gainsbourg, Juif, a souffert d’une différence qui aurait pu lui coûter la vie. Il en a gardé le douloureux souvenir du nazisme — outrageusement tourné en dérision dans Rock Around the Bunker — mais surtout des Français ‘collabos’.

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Hugues Quester & Joe Dallesandro

En réalisant son premier film, Gainsbourg ne peut évidemment oublier qu’il a voulu être peintre et va s’attacher à mettre en application les influences picturales dont il s’est nourri tout au long de sa vie. La plus manifeste provient de l’hyperréalisme, en particulier l’oeuvre d’un précurseur de ce mouvement, l’Américain Edward Hopper: minutie dans les détails, travail sur la lumière naturelle, humains immobiles submergés par des décors suscitant une angoissante sensation d’isolement. Tout le film en est imprégné et l’on n’a jamais l’impression de se trouver en France, tant le climat et l’ambiance sont différents. Si le mobilier, les véhicules, les tenues vestimentaires, les décors sont typiquement français, l’atmosphère ne l’est pas. Le bar où travaille Johnny ne ressemble aucunement au débit de boissons d’une ville ou d’une campagne française: trop grand, trop vaste, trop vide, trop minable, toujours pour accentuer l’impression de solitude. Sur la devanture de ce bar et de l’épicerie, les inscriptions ‘Hot Meals’ (repas chauds) sont en anglais; on y sert des burgers, pourtant ce ne sont pas les États-Unis non plus: c’est un désert au milieu de nulle part, où se débattent des paumés.

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Hugues Quester, Joe Dallesandro, Jane Birkin

Gainsbourg, on le sait, voue à Boris Vian une admiration sans borne, et celui-ci exercera dans plusieurs disciplines une influence importante, inconsciente ou volontaire. Comme lui, c’est un musicien, il écrit des chansons, il vénère le jazz; comme lui, il se passionne pour l’écriture, l’Amérique, le cinéma, et nous verrons qu’il y a dans leurs morts respectives une tragique répétition du destin.

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Jane Birkin

Je t’aime moi non plus est donc, sans surprise, dédié à Boris Vian, dont on retiendra les romans de Série Noire écrits sous le pseudonyme de Vernon Sullivan, afin de tromper malicieusement le lecteur français avide de cette littérature exotique: J’irai cracher sur vos tombes, Les morts ont tous la même peau, Et on tuera tous les affreux. Vian se présentera comme le ‘traducteur’ de ces livres fictivement américains. Bien pratique lorsqu’il aura des problèmes avec la censure pour le plus célèbre des trois, J’irai cracher sur vos tombes, interdit de publication jusqu’au 6 août 1953.

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Jane Birkin & Reinhard Kolldehoff

L’adaptation de celui-ci en long-métrage, par Michel Gast, en 1959, évolue dans le prétendu décor d’une ville américaine du Sud, imitation relativement réussie alors que ni le réalisateur ni les scénaristes n’avaient jamais mis les pieds aux États-Unis. C’est donc une Amérique plutôt rêvée que réelle qu’ils ont voulu recréer en studio.

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Joe Dallesandro

Gainsbourg, lui, n’utilise pas vraiment d’accessoires copiés sur le modèle américain, donnant simplement une touche particulière à travers la lumière et les cadrages pour concevoir un monde à la fois irréel, surréel et décalé, recherchant les atmosphères des romans de Faulkner ou Dashiell Hammett, des films de Tay Garnett. Il s’emploie aussi dans la musique, composée avec Jean-Pierre Sabar, à utiliser en accompagnement sonore le banjo, instrument typique du folklore américain, pour mieux accentuer l’immensité et la désolation des paysages. On retrouve là les mêmes résonances que dans Délivrance, de John Boorman, peut-être par souci de référence à une Amérique rurale, ou en tout cas l’idée que l’on s’en fait à travers le cinéma hollywoodien.

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Jane Birkin

Gainsbourg: ‘Les cadrages sont très précis, parce que, justement, j’ai fait de la peinture. Le cadre idéal, pour moi, c’est le 1,66; c’est très simple, ça correspond au format d’une toile. La figure, c’est le 1,33; le paysage, le 1,66; la marine 1,85. Je n’aime pas le format marine, sauf dans les toiles de Cranach ou Modigliani. Le cinéma interfère avec la peinture que je pratique depuis l’âge de treize ans, la poésie (Rimbaud, Baudelaire), l’architecture, car le cinéma est la conjonction de toutes ces disciplines.’ Les corps nus de Birkin et Dallesandro sont donc filmés dans un esthétisme rare, où certains plans évoquent effectivement des toiles de maître, conjuguant une beauté de cadrage et de lumière qui fait oublier les postures osées, de même que l’innocence juvénile des visages filmés en gros plan adoucit le langage ordurier.

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Joe Dallesandro & Jane Birkin

En visionnant attentivement Je t’aime moi non plus, on remarque de multiples références empruntées à la réalité aussi bien qu’au cinéma. Dans une des scènes où Johnny porte une veste militaire comportant des décorations, elle se voit accuser par Krass de ‘port illégal de décoration’, un amusement pour Gainsbourg qui se délectait d’arborer au revers de son veston la légion d’honneur qu’il n’avait pas obtenue, geste de provocation dadaïste plus crédible, celui-là, que la signature en faveur de Valéry Giscard d’Estaing.

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Jane Birkin & Joe Dallesandro

Le texte de présentation du film mentionne: ‘Ceci est la relation hyperréaliste et tragi-comique, dans un no man’s land monochrome qui pourrait se situer indifféremment en Amérique, en France ou en Italie, d’un amour marginal brièvement vécu par deux êtres d’exception.’ Dans une des scènes, les amants assistent à un match de rollerball (le film de Norman Jewison portant ce titre, où les joueurs s’entretuent, vient de sortir sur les écrans), qui annonce par sa violence l’épilogue du film, où Padovan tente d’étouffer Johnny. En effet, fou de jalousie, il surprend la belle dans son bain et cherche à l’étouffer avec le sac en plastique dont il ne se sépare jamais, pour se protéger des intempéries. Ce moment particulier est quant à lui un hommage au Psychose d’Alfred Hitchcock, où Janet Leigh, poignardée sous sa douche, affiche la même grimace de surprise et de terreur en gros plan. Ici, Hugues Quester, se prenant au jeu, ira un peu trop loin dans le réalisme, manquant d’étouffer réellement sa partenaire. Gainsbourg, lui aussi captivé par l’action, attendra le dernier moment pour annoncer ‘coupez’, laissant presque Jane passer de vie à trépas, les deux trous percés dans le sac qui enserre son visage étant insuffisants pour lui permettre de respirer.

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Jane Birkin

Cette volonté de pousser les choses à leur paroxysme, en exacerbant les situation jusqu’à mettre les protagonistes en danger, lui sert à obtenir un ton plus juste de la part des acteurs. Vieille recette souvent utilisée en studio pour «mettre la pression» aux interprètes féminines de ses chansons, les limites des voix étant ainsi compensées par l’émotion, comme on peut le constater sur les albums de Birkin et de Charlotte Gainsbourg. Pour Régine, il a même poussé la méthode à l’extrême, lui pinçant douloureusement le bras tout au long d’une séance jusqu’à ce qu’elle s’en plaigne, étonnée. Il s’est aussi ‘auto-appliqué’ un tourment dans le processus créatif d’écriture de chansons, les textes étant souvent terminés au dernier moment, après une nuit blanche, juste avant l’enregistrement, pour obtenir l’impulsion psychologique permettant de se dépasser.

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Joe Dallesandro & Jane Birkin

Dans Je t’aime moi non plus, c’est l’arrivée de Krass qui met fin au supplice, mais, au lieu de défendre Johnny, il la quitte pour Padovan. Étrange conclusion que cette fuite du héros vers l’homosexualité, à laquelle Serge Gainsbourg reviendra en 1987, en reprenant ‘Mon légionnaire’ (‘Il m’a aimé toute la nuit, mon légionnaire’) dans l’album You’re Under Arrest. L’amour hétérosexuel, si l’on oublie l’acte physique, cette ‘épilepsie synchrone’ et sodomite de la chanson ‘Love on the Beat’, n’est alors qu’une association de deux névroses, que Gainsbourg refuse et fait refuser à son acteur. La relation homosexuelle, consommée ou non, serait alors la seule viable, car on ne peut s’accorder qu’avec son double, plus rassurant que l’inconnu.

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Joe Dallesandro & Jane Birkin

Le film a un aspect baudelairien, influence majeure de Gainsbourg. On y côtoie le sordide et la fange dans les paysages, les personnages, les propos, opposés à la beauté d’images qui subliment les corps des amants et leur passion adolescente. Boris, le patron du bar, ayant des problèmes de gaz intestinaux, ‘il ne manque pas d’air’, dit Krass! Ce thème scatologique, abordé dans la chanson ‘Des vents des pets des poums’ sur l’album Vu de l’extérieur deux ans auparavant, sera repris pour servir de charge contre la peinture contemporaine dans le roman Evguénie Sokolov, et les propos très ‘pipi caca’ ne manquent pas dans les dialogues du film: ‘Il y a des jours, j’sais pas c’que je donnerais pour me chier tout entier’, ou ‘Ce matin j’ai fait un rêve, tu étais habillé tout en marron et je tirais la chasse’.

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Joe Dallesandro & Jane Birkin

Dans le même ordre d’idée, Gérard Depardieu fait une ou deux apparitions en compagnie d’une jument. À Padovan, qui tente de le séduire, il explique ne plus être intéressé par les hommes car il est affublé d’un instrument trop énorme. On peut dès lors imaginer qu’il a eu une relation avec sa jument, farce rabelaisienne sur l’amour contrarié: Gainsbourg ne peut résister à l’ironie scabreuse. La connerie étant, comme il l’a dit, la décontraction de l’intelligence, elle lui permet de se protéger, comme pour laisser entendre «malgré les propos graves, je ne me prends pas au sérieux, mais je laisse quand même passer mon message». Une attitude anticipée sur sa création de l’affreux Gainsbarre, pare-feu à la reconnaissance immense, mais tardive, qu’il a du mal à assumer. Façade de protection – je fais tout pour être détestable et vous m’aimez – mais aussi petite vengeance par rapport à ses débuts, où il essayait de s’imposer auprès d’un public apathique, voire carrément hostile.

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Jane Birkin & Joe Dallesandro

Le tournage, finalement, dure sept semaines près d’Uzès, en grande partie dans un foyer protestant, les prises étant doublées car il y aura une version américaine du film. Gainsbourg: ‘J’avais une équipe en acier. En début de semaine, je discutais avec mon assistant et ma scripte; ils m’apportaient parfois des idées, ou corrigeaient quand je faisais des fautes pour un axe, mais jamais sur le plateau. Par exemple, je n’admettais pas que ce garçon et cette fille, la première fois, se mélangent dans un lit. C’était comme cela que c’était écrit: il la gifle, elle le traite de pédé, il la gifle à tour de bras, elle se met à pleurer puis à rire, à rire puis à pleurer. Je ne trouvais pas ça bien. Et la veille du tournage, j’ai eu l’idée: il la flanquait par terre, et c’est là qu’ils faisaient l’amour, et comme ça j’avais le dallage, le dallage de cette petite chambre sordide que j’avais vu quelques jours avant. Et j’ai demandé du plastique parce que j’avais décidé qu’elle arracherait le rideau’.

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Jane Birkin & Joe Dallesandro

Gainsbourg: ‘Ce n’est pas tout à fait de l’improvisation, mais déjà un changement de tir par rapport au scénario. Mais l’improvisation était dans une scène qui est très forte, je crois, à la fin. Elle lui disait: “Tire-toi” et il se tirait. Ça durait, au chrono, trente secondes. J’ai senti au tournage que ça ne marchait pas, que ce n’était pas possible. La scripte commençait à s’affoler. Je lui ai dit: “Ne vous inquiétez pas, il la repousse, elle le repousse, il revient à elle, elle revient à lui, etc.”, et j’ai fait mes plans comme cela, à l’improvisation, et ça a autant de tenue que le reste.’ Pour la dernière phrase du script, ‘l’image aura la cruauté et la poésie de l’hyperréalisme’, il explique que ‘l’hyperréalisme, c’est la sublimation du réalisme’.

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Jane Birkin & Joe Dallesandro

La vulgarité du dialogue, qu’on lui reprochera, sera justifiée par le fait que ‘c’est le langage de la vie de tous les jours au XXe siècle’, ce qui correspond à la modernité de l’auteur de chansons et du poète: ses mots, même dans une versification très classique, ont toujours été ceux de son époque.

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Hugues Quester

Tout est soigneusement étudié dans Je t’aime moi non plus, reflétant le souci du détail dont Gainsbourg est coutumier: ‘La mise en scène pour moi est la résultante d’un an d’architecture, de dix-huit ans de peinture et de dix-sept années de chanson. Disons que le cinéma représente à mes yeux une sorte de peinture cinétique.’ Il ajoute, à propos du travail sur le son: ‘Tout a été très travaillé au mixage. Il y avait beaucoup de sons très salaces, je veux dire prenants, éprouvants, qui le sont encore plus parce que je les ai beaucoup poussés au mixage. J’ai une espèce de chien, ou un moteur, qui gémit, on ne sait pas si c’est un animal. Et là-dessus j’ai retravaillé, j’ai mis des mouches, j’ai mis des gouttes d’eau. Disons que, par ordre préférentiel, je mettrais le bruit, qui pour moi est la magie de l’image, qui apporte la vie à l’image, ensuite la musique, et en dernier lieu les paroles.’

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Jane Birkin

Gainsbourg: ‘Il y a d’abord le bruitage. La violence, par exemple, quand elle a le sac en plastique, je l’ai obtenue au bruitage. On a tourné la scène en son direct, bien sûr, le verre s’est cassé, mais on avait un micro trop directionnel et on n’a pas eu assez d’impacts de verre. Alors on a brisé une glace dans le studio et j’ai demandé ensuite, sur une autre piste, qu’il marche sur du verre brisé, ce qui a donné une violence atroce. Je crois avoir dominé toutes les disciplines. Je voulais un dialogue sommaire, je voulais un cinéma de comportement avec du silence, je voulais que mes personnages soient laconiques, je n’aime pas le théâtre; le scénario, je l’ai retravaillé, j’ai essayé de voir où j’avais des faiblesses. Au tournage, je ne pensais qu’au montage, c’est-à-dire dominer le sujet.’

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Jane Birkin & Joe Dallesandro

Il explique aussi avoir ‘chiadé les mouches à merde’ dans Je t’aime moi non plus: ‘Sur “Musique de Serge Gainsbourg” au générique, j’ai dit, “Là vous me shuntez la musique, je veux entendre des mouches à merde”. C’était une private joke, je me suis bien amusé.’ On apprend par ailleurs que sa façon d’écrire les scénarios consiste à ne pas les écrire, et qu’il les dicte d’abord au magnétophone avant de les rectifier dans le détail. Mais il adopte ensuite une rigueur absolue, dessinant précisément chaque plan tel qu’il devra être tourné, alignant ses illustrations dans des cahiers qui ressemblent à des bandes dessinées sans phylactères. Tout est méthodiquement mentionné, qu’il s’agisse des indications techniques – contrechamp, plan large, close-up, fondu-enchaîné –, du jeu et de l’aspect des acteurs – regard dans le vague, traits tirés –, des décors et de la lumière – aube naissante – ou des objectifs: caméra en contre-plongée au 25, raccord dans l’axe au 85, dolly au maximum de la hauteur, etc.

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Jane Birkin

Rien n’est laissé au hasard, tout est construit, provenant d’une vision unique qu’aucune improvisation ne viendra désorganiser. Seuls les acteurs auront droit à une petite liberté d’expression, mais seront placés le plus possible dans des situations extrêmes: tension, stress dans Je t’aime moi non plus, où il est le voyeur du couple Birkin / Dallesandro; plus tard fièvre climatique pour Équateur, et climat difficile dans Charlotte For Ever, père et fille jouant leurs propres rôles. Chaque fois, son but sera le même: leur faire perdre le contrôle et oublier leur personnalité afin qu’ils deviennent totalement les instruments de leur créateur.

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, 1976

Je t’aime moi non plus fait son arrivée sur les écrans parisiens le 10 mars 1976, échappant de peu à la classification ‘X’ réservée aux films pornographiques. Gainsbourg: ‘Oui, j’aime bien choquer. Les gens sont tellement amorphes qu’il faut bien les secouer un peu, autrement on rentre dans le système et puis on se flingue. Si c’est pour vivre pour faire du blé, c’est pas possible. Je ne pourrais pas. Choquer, déranger, ça veut dire qu’on est intègre, mais soi-même, différent du troupeau. Je vais aller de plus en plus loin pour choquer, d’ailleurs je n’ai jamais cessé. Mon film a failli être classé ‘X’, je croisais mes doigts à l’heure où le ministre de la Culture, Michel Guy, se faisait projeter le film. Quand j’ai regardé mes doigts, cela faisait un ‘X’. Je les ai vite décroisés. Je suis passé parce qu’il a vu que si on mettait un ‘X’ ça aurait fait du raffut.’

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Jane Birkin

Quoi qu’il en soit, la plupart des critiques traînent le film dans la boue. Seuls Pierre Tchernia, France-Soir et la revue de cinéma Positif le défendent. Pour François Truffaut, ancien des Cahiers du cinéma et grand cinéaste que Gainsbourg ne connaît pas personnellement, ce film ‘ira certainement un jour dans les cinémathèques’; bel hommage. Je t’aime moi non plus ne fera que 150 000 entrées à Paris et ne sera pas mieux accueilli à Londres. Gainsbourg: ‘Les critiques ont craché dessus, d’ailleurs on ne peut pas dire que ce sont de vrais critiques. Aucune analyse du film. Ils n’y ont vu que des immondices et le côté homosexuel. Je pensais que le puritanisme avait disparu en Angleterre avec l’arrivée des Beatles et des Stones; pas du tout, ça doit être leur côté rétro. Ils ont bien jeté Oscar Wilde en prison.  J’ai voulu faire un film qui aille au-delà de l’érotisme, au-delà de la différence des sexes. Mais l’homosexualité en elle-même, je m’en tape’.

Serge Gainsbourg, Je t’aime moi non plus, Jane Birkin

SERGE VINCENDET: QUATRE LIVRES

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Barbara, Ombre et lumière

Gainsbourg, L’intégrale etc.

Le Cinéma de Gainsbourg

Jacques Brel, L’impossible rêve

JE T’AIME MOI NON PLUS – INTERPRÉTATION DE LA CHANSON – CLIQUEZ SUR L’IMAGE

THE FILM ‘JE T’AIME MOI NON PLUS’ IN ‘MARA, MARIETTA’

FROM ‘MARA, MARIETTA’
Part Three Chapter 9

̶  To think that all that beauty, that purity, that angelic innocence, was drawn from a two-bit café and a garbage dump!

In a restaurant on rue de la Roquette, across the glow of an indigo candle, we talk about Je t’aime… moi non plus.

̶  Now do you understand my silence?
̶  I do, Marietta.
̶  I was simply overwhelmed.

I am moved by the way this mythical tale of love in a no-man’s land moves you, I am moved by the way you are touched by this tragicomedy of innocence lost.

̶  What a film!

I sip my Gewürztraminer: The fineness of the wine complements your fervour.

Paolo Roversi, Kirsten, Paris 1987

As you pinch a strip of wax pepper to a morsel of curried fish, the dexterity with which you handle your chopsticks impresses me. Hey, Johnny Jane: As I hum the melody, the candle invents fire in the black of your pupil, the curried fish discovers the Indian spice kitchen, the wax pepper creates the hottest, the most expansive, the most burning of colours: Everything is happening for the first time.

̶ You could have knocked me down with a feather when she said that!
̶ Said what?
̶ Je suis un garçon.

Geometric swirls of river-green swing from your earlobes. Is it because their gentle tug maintains a subtle tension with your sex that they bear that nacreous glow?

̶ The homosexuality is entirely incidental.

So you say as you serve yourself from the prawn and pomelo salad.

̶ It’s just a metaphor.
̶ For what?
̶ Love between a man and a woman.

Touched and disturbed by your lucidity, I lean back and sip my wine. I’m certain of the sincerity of your conviction, and wonder what it might mean for you and I. To what extent do we still believe, in the darkness of our being, that both sexes are within us, that we are omnipotent and immortal?

Paolo Roversi, Kirsten, Paris 1987

LA BALLADE DE JOHNNY JANE – SERGE GAINSBOURG | JANE BIRKIN

Hey Johnny Jane
Te souviens-tu du film de Gainsbourg Je t’aime,
Je t’aime moi non plus un joli thème
Hey Johnny Jane
Toi qui traînes tes baskets et tes yeux candides
Dans les no man’s land et les lieux sordides
Hey Johnny Jane
Les décharges publiques sont des atlantides
Que survolent les mouches cantharides
Hey Johnny Jane
Tous les camions à benne
Viennent y déverser bien des peines infanticides

Hey Johnny Jane
Tu balades tes cheveux courts ton teint livide
À la recherche de ton amour suicide
Hey Johnny Jane
Du souvenir veux-tu trancher la carotide
À coups de pieds dans les conserves vides
Oh Johnny Jane
Un nouveau camion à benne
Te transportera de bonheur en bonheur sous les cieux limpides

Hey Johnny Jane
Ne fais pas l’enfant ne sois pas si stupide
Regarde les choses en face sois lucide
Hey Johnny Jane
Efface tout ça, recommence, liquide
De ta mémoire ces brefs instants torrides
Hey Johnny Jane
Un autre camion à benne
Viendra te prendre pour t’emmener vers d’autres Florides

Hey Johnny Jane
Toi qui traînes tes baskets et tes yeux candides
Dans les no man’s land et les lieux sordides
Hey Johnny Jane
Écrase d’un poing rageur ton œil humide
Le temps ronge l’amour comme l’acide

MARA, MARIETTA: A LOVE STORY IN 77 BEDROOMS – READ THE FIRST CHAPTER

A literary novel by Richard Jonathan

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MARA, MARIETTA: A LOVE STORY IN 77 BEDROOMS

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Mara Marietta